La cuve infernale
- Pascal JACOB
- 5 avr.
- 3 min de lecture

L'intrépide Charles Jacob : Histoire N°1 : "La cuve infernale"
1965 - J’ai six ans, nous sommes un samedi matin à Coulanges-Les-Nevers, siège de l’entreprise familiale de charpente créée voilà presqu'un siècle par mon grand-père maternel, Prosper Battentier. D’habitude bruyante et animée par le ballet incessant des ouvriers, tout est silencieux aujourd’hui. Je suis seul avec mon père, Charles. Ces moments précieux sont pour moi l’occasion de découvrir son univers. Avec patience et pédagogie, mon père me transmet déjà sa passion du métier. Chaque samedi matin, je le suis à travers l’atelier tandis qu’il inspecte et entretient méticuleusement les outils revenus des chantiers de la semaine. Souvent, il grogne en découvrant l’état déplorable dans lequel ils reviennent. Mais ce jour-là, étonnamment, rien à signaler.
Ainsi libéré de ses contrariétés habituelles, il décide de s’occuper d’autre chose. Passionné de jardinage, comme l’était son frère Albert, maraîcher installé non loin de là, mon père consacrait une grande partie de son temps libre à son potager. Son jardin n’était pas relié à l’eau courante, alors il avait récupéré une vieille cuve métallique d’une quinzaine de mètres cubes montée sur un vieux Citroën U23. Régulièrement, il faisait le trajet jusqu'au jardin de son frère pour remplir cette cuve.
Ce samedi-là, mon père entreprit une vérification inhabituelle : contrôler l’étanchéité de cette cuve en la mettant sous pression grâce au compresseur de l’atelier. Une fois connectée, l’air comprimé se mit lentement à remplir la cuve. Il fallait du temps pour que la pression intérieure soit suffisante pour révéler les éventuels défauts de soudure. Pendant ce temps, j’étais tout proche, jouant tranquillement, fasciné par la manœuvre en cours.
Tout à coup, mon regard fut attiré par un phénomène étrange : à plusieurs endroits, la peinture de la cuve commençait à s’écailler. Intrigué, je m’approchai et observai avec attention les éclats de peinture qui, en se décollant progressivement, tombaient en petits morceaux sur le plateau métallique du camion. Fasciné par ce spectacle inquiétant, je décidai d’y regarder de plus près. Je montai sur le plateau et scrutai attentivement la surface métallique. C’est alors que je réalisai avec stupeur qu’une paroi de la cuve commençait à se bomber lentement, comme un immense ballon en train de gonfler sous mes yeux.
Pris d’une panique soudaine, je sautai immédiatement du camion et courus vers mon père en criant de toutes mes forces :
« Papa ! Papa ! La cuve gonfle ! »
Sans hésitation, mon père se précipita vers la cuve pour constater la situation. À peine arrivé devant, il comprit immédiatement le danger imminent et hurla :
« Sauve-toi ! Tout va exploser, sauve-toi, cours ! »
Je détalai sans réfléchir vers l’atelier, d’où je pouvais encore tout observer. Mon cœur battait à tout rompre, je tremblais de tout mon corps, incapable de détourner mon regard du drame imminent.
C’est alors que mon père fit preuve d’un sang-froid extraordinaire : au lieu de s’éloigner du danger, il s’en approcha courageusement, saisit la vanne de sécurité et l’ouvrit d’un geste déterminé. Un souffle terrible s’échappa aussitôt de la cuve, libérant la pression accumulée. En quelques instants, la catastrophe fut évitée, sauvant ainsi non seulement l’atelier mais probablement aussi nos vies.
Des années plus tard, je réalisai vraiment à quel point cet acte héroïque fut décisif. Si cette cuve avait explosé, la violence aurait été comparable à celle de plusieurs kilos d’explosif, détruisant tout sur son passage. Ce jour-là, j’avais eu la peur de ma vie, mais j’avais aussi appris quelque chose d’important sur mon père : oui, il était audacieux, peut-être même un véritable casse-cou, mais il connaissait parfaitement ses limites et gardait toujours une maîtrise admirable face au danger.
Je crois bien que c’est ce jour-là, précisément, que j’ai compris ce que voulait dire le mot courage.
Avec une certitude : La cuve était bien étanche !
Note : Une explosion évitée de justesse
La cuve contenait environ 13,8 m³ d'air comprimé à 8 bars, soit une énergie potentielle de près de 10 mégajoules – l’équivalent de 2,3 kg de TNT. Une explosion aurait provoqué une onde de choc destructrice, des projections métalliques mortelles, et de graves dégâts matériels. Grâce à l’intervention rapide de mon père, l’atelier fut sauvé, et nos vies avec lui.
Merci cher Pascal pour ces récits qui nous rappellent que les choses ne se passent pas , dans la vraie vie,comme nous pouvons l’escompter et que ce qui est fondamental c’est la capacité de réagir à une situation de crise.
Amitiés.
JP.
Que de souvenirs. Qui resteront gravés à vie dans ta tête.